Ecoféminisme et éco-municipalité : vers un monde inclusif, égalitaire et durable.

« Aujourd’hui, nous sommes face à un défi qui nécessite un changement de paradigme, de façon à ce que l’humanité arrête de menacer le système qui la fait vivre. Nous sommes appelé·es à soutenir la Terre pour lui permettre de guérir de ses blessures, et dans ce processus, guérir nos propres blessures – afin d’embrasser l’ensemble du vivant dans toute sa diversité, sa beauté et ses merveilles. Ceci pourra être réalisé si nous ressentons à nouveau le besoin d’appartenir à une plus grande famille, la famille du vivant, avec laquelle nous avons partagé notre processus évolutif. »

Extrait du discours de Wangari Maathai, lors de la remise de son prix Nobel de la paix en 2004.

A travers leur préfixe commun, écoféminisme et Eco-municipalité sont tournés vers le même but : protéger la Terre et ses ressources. En effet, ces deux concepts sont démonstratifs d’un changement de perspective. L’environnement n’est plus perçu comme une simple réserve de ressources à disposition de l’Homme mais comme une entité active dont les exigences doivent être entendues et prises en compte dans les activités humaines. L’écoféminisme et les revendications qu’il porte peut enrichir le concept d’éco-municipalité, tant du point de vue de sa relation à la Terre, que pour sa dimension sociale et inclusive.

Le terme d’écoféminisme apparait pour la première fois dans l’ouvrage de Françoise d’Eaubonne, Le féminisme ou la mort. Il émerge dans les années 70-90 dans le contexte de la course à l’armement nucléaire et le début de la crise écologique dont les conséquences sont déjà importantes à ce moment dans les pays du Sud particulièrement. Venant de la contraction d’ « écologie » et de « féminisme », ce mouvement revendique la fin de l’oppression des femmes et de l’exploitation de l’environnement, intimement liées au sein du dualisme nature/culture. En effet, depuis la Renaissance et la sacralisation de la raison et du progrès, la nature et les femmes sont considérées comme inférieures et soumises aux hommes. Bien sûr, derrière cette définition simplifiée de l’écoféminisme, plusieurs sous-mouvements se confrontent et se complètent entre eux. Ainsi, les écoféministes reclaim un rapport renouvelé et valorisé à la nature dont elles ont été exclues. Cet article s’attardera donc sur les fondements théoriques de l’écoféminisme et leurs variantes en fonction des courants comme sur leurs mises en pratiques à travers le monde. Il sera aussi question de ce que le concept apporte à celui d’éco-municipalité.

« Rendre visible l’invisible »

D’une part, si l’écoféminisme lie l’oppression des femmes et l’exploitation de l’environnement, c’est parce que les mécanismes de domination sous-jacents sont les mêmes et peuvent être combattus ensemble. Pour comprendre la base de ce rapprochement, il faut comprendre la double relation entre les dualismes nature/ culture et homme/femme qui structurent nos sociétés occidentales. K. J. Warren analyse le cadre conceptuel des dualismes de la pensée moderne à travers trois étapes : distinction, hiérarchisation et subordination et montre qu’il s’applique aux dualismes précédemment évoqués. Un rapport de domination est en effet bien établi entre les hommes et les femmes, la nature et la culture : la rationalité et la liberté se pensent à travers le progrès vu comme émancipateur de la nature dévalorisée. Aussi, on parle d’une « domination conjointe et croisée (la nature est vue comme une femme, les femmes sont assimilées à la nature) » (Catherine LARRERE, 2012). En effet, les métaphores telles que « terres vierges » ou encore « pénétrer les secrets de la nature » montrent le rapprochement fait entre les femmes et la nature ainsi que leur soumission commune.

L’écoféminisme cherche aussi à remettre en question l’économie globale qui distingue production et reproduction et invisibilise les ressources qui lui permettent de fonctionner. Certains théoriciens de l’économie moderne se vantent de créer un surplus pour les humains alors qu’on ne peut parler que d’échanges « dans un monde où rien ne se perd et rien ne se crée »(Catherine LARRERE, 2012) et c’est ce que l’écoféminisme essaye de mettre à jour. D’abord, l’économie actuelle occulte sa dépendance vis-à-vis de la nature dont elle prélève les ressources et utilise les processus naturels. Ensuite, si la force de travail est capable d’effectuer des tâches, c’est parce qu’elle est entretenue et reproduite par un travail domestique non payé et non comptabilisé. L’écoféminisme veut donc rendre visible l’invisible et revendique une nouvelle économie plus inclusive et plus durable.

D’autre part, l’écoféminisme porte un nouveau regard aux questions environnementales à travers plusieurs aspects. D’abord, parce qu’il considère les questions environnementales à travers la santé et la vulnérabilité des personnes, ce qui introduit une dimension sociale dans la relation entre l’Homme et la nature. En portant une attention particulière aux modes de vie et à leur qualité, les femmes militent pour une justice environnementale protégeant à la fois l’environnement et les individus.

« Les questions de la santé de la reproduction, de la santé des enfants et des êtres chers, du sort des générations futures, et des conséquences technologiques ont conduit les femmes à prendre une part active dans la lutte contre la diffusion des armes nucléaires et contre les centrales nucléaires, contre les dépôts de déchets radioactifs, et autres produits dangereux, contre les pesticides et les herbicides, et à se joindre au mouvement en faveur d’une technologie appropriée. »

Merchant, 1996, p. 151

L’écoféminisme met aussi en avant une nouvelle vision de la « mère nature ». Remettre en cause le dualisme nature/ culture ne doit pas mener au retour d’un monisme originel incarné par l’idée d’une mère nature capable de réparer les erreurs des Hommes et de faire régner l’harmonie. Les circonstances environnementales actuelles nous montrent, au contraire, que la nature est capable d’imposer sa puissance aux hommes. Cette réflexion peut être liée au concept de « d’éthique du partenariat » développé par Carolyn Merchant selon lequel les humains et la nature sont des partenaires et interagissent dans un rapport d’égal à égal et non comme dominant/ dominé (Earthcare: Women and the environment, 1995, p. 211-217). Dans cette perspective, il est possible pour l’Homme d’avoir des relations positives avec la nature puisqu’il devient citoyen de la communauté biotique.

Comme pour tout courant de pensée, des critiques sont dirigées vers l’écoféminisme. Principalement, celui-ci est taxée d’essentialisme c’est-à-dire de donner, par son essence, des caractéristiques à un sujet. Cela revient par exemple à affirmer qu’il existe un lien privilégié entre les femmes et la nature du fait de leur sensibilité ou leurs capacité reproductive. En réalité, ce que l’écoféminisme veut démontrer, ce n’est pas que les femmes sont plus capables de défendre la nature que les hommes, mais plutôt l’analogie entre la domination des hommes sur les femmes et celle des humains sur la Terre : les femmes ne sont pas comme la nature mais c’est la domination subie qui est la même.

L’écoféminisme autour du monde

Comme il n’y a pas de définition universelle de la femme ou du féminisme, il n’y a pas une définition unique de l’écoféminisme non plus. Plusieurs courants coexistent.

L’écoféminisme post-colonial s’est développé principalement dans les pays du Sud où les conséquences du développement de la mondialisation affectent lourdement les femmes : leurs activités traditionnelles sont compromises, elles sont la cible d’injonction de contrôle de la démographie… cet écoféminisme met en relief le fait que la domination de la nature est étroitement articulée avec la domination des femmes et l’oppression coloniale/ post-coloniale. L’écoféminisme matérialiste, quant à lui, part de l’idée selon laquelle le capitalisme et le patriarcat sont deux systèmes qui ont fusionné : « Le patriarcat capitaliste oppose et hiérarchise la nature et culture : la culture est considérée supérieure à la nature et elle se développe sur la mort de la nature. » (Simonae, « Expliquez-moi l’écoféminisme », 2017). Ainsi, ces écoféministes dénoncent l’invisibilisation et la gratuité du travail des femmes et de la nature. Un troisième mouvement qui se distingue est celui de l’écoféminisme spiritualiste qui considère les valeurs rationalistes et scientifiques comme responsables de la destruction du lien entre la Terre et les êtres humains. Ce mouvement blâme aussi les religions monothéistes qui entretiennent les rapports de domination entre humains et nature, hommes et femmes. Ce mouvement encourage alors une association entre les femmes et l’environnement puisqu’elles auraient un rôle plus intime à la nature par leur rôle de genre et biologiquement. Enfin, les perspectives queer peuvent permettre de remettre en cause l’écoféminisme qui se base essentiellement sur l’expérience de la femme hétérosexuelle. Aussi, l’écoféminisme peut permettre d’analyser comment les personnes queer ont été féminisées, érotisées, animalisées et naturalisées de manière péjorative.

Si les théories écoféministes sont multiples, les mouvements qui les incarnent le sont d’autant plus et de nombreux exemples existent à travers le monde ! Le mouvement Chipko en Inde peut être considéré comme l’un des premiers mouvements écoféministes même s’il ne se définit pas lui-même par ce terme. De 1973 à 1980, des villageois se sont opposés à l’exploitation à des fins commerciales des forêts de Mandal, ce qui a encouragé d’autres protestations similaires dans d’autres régions du pays. En 1977, le Green Belt movement au Kenya, composée de femmes, s’est aussi opposé à la déforestation qui avait un très fort impact sur leurs activités quotidiennes (collecte du bois, alimentation des membres du foyer…). Wangari Maathai, écoféministe et leadeuse du mouvement propose alors de planter des arbres autour des villes et villages (« des ceintures vertes ») pour répondre au problème. Elle a d’ailleurs obtenu le prix Nobel de la paix en 2004 pour « sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix. ». Dans les pays du Nord aussi certains mouvements voient le jour comme le campement de protestation pacifique à proximité de la base militaire de Greenham Common en Angleterre. Ce lieu a été occupé pendant 19 ans (1981-2000), en non-mixité et en protestation contre l’installation de missiles nucléaires. Ces exemples multiples montrent que la voix des femmes et celle de la nature peuvent être entendu à travers des mouvements communs remettant en cause le même système.

Conclusion et implications

L’écoféminisme peut apporter beaucoup au concept d’Eco-municipalité. Les deux termes renvoient à l’image d’une Terre qui n’est pas passive et avec qui l’Homme peut pactiser tout en se gardant de l’exploiter. Pour conclure, ces deux notions révèlent l’aspect social du développement durable : dans un monde soutenable, les hommes et les femmes sont égaux et tout le monde peut répondre à ses besoins humains de façon durable.

Clarisse Veaux

Bibliographie

Catherine LARRÈRE, « L’écoféminisme : féminisme écologique ou écologie féministe », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 22 | 2012, mis en ligne le 21 mai 2014, consulté le 01 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/traces/5454 ; DOI : 10.4000/traces.5454

Violynea, Natty, « Expliquez-moi l’écoféminisme ». (17 mars 2017). Consulté le 01 octobre 2019. URL : https://simonae.fr/militantisme/les-indispensables/expliquez-ecofeminisme/?fbclid=IwAR3jbSILHzTt0qS5wjAlYROFLA5R8olYZJJ-6WQJ_15YM2G_LvIrL_6UBzk

Catherine LARRÈRE, « L’écoféminisme ou comment faire de la politique autrement », Multitudes, 2017/2 (n° 67), p. 29-36. DOI : 10.3917/mult.067.0029. URL : https://www.cairn.info/revue-multitudes-2017-2-page-29.htm